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Manon LOISEL
Consultante en politiques publiques territoriales, Partie Prenante
Partie Prenante est une agence de conseils en stratégies territoriales animée par Manon Loisel et Nicolas Rio. Ensemble, ils accompagnent les collectivités locales dans leurs démarches stratégiques et leurs réflexions prospectives, à toutes les échelles. Leur cœur d’expertise est la gouvernance locale, pour fluidifier le partage des rôles entre élus, services, citoyens et forces vives du territoire. Manon Loisel et Nicolas Rio ont dernièrement publié des textes réflexifs sur leur pratique professionnelle, l’un sur les limites de la démocratie participative telle qu’on la connaît aujourd’hui, l’autre sur le décalage entre l’agitation médiatique autour de la transition écologique et l’inefficacité des politiques publiques en la matière.
Vous accompagnez de nombreuses collectivités dans l’élaboration de leurs stratégies territoriales, notamment en matière de transition écologique et de décarbonation. Vous avez récemment publié un billet sur le blog de votre agence Partie Prenante où vous vous demandez si la multiplication des documents stratégiques en matière de transition écologique, documents dont vous contribuez à l’élaboration, n’est pas un moyen de masquer l’inaction. Que faudrait-il changer pour passer à l’action ?
En tant que praticiens de l’action publique locale, nous sommes avec mon collègue Nicolas Rio confrontés au désarroi de l’action publique et à son inaction. Nous travaillons en permanence sur les enjeux de transition écologique auprès des collectivités et pour autant, derrière toute cette agitation, nous n’avons pas l’impression que les trajectoires de décarbonation vont dans le bon sens ou au bon rythme. Nous nous interrogeons sur ce décalage entre une hyperproduction de l’action publique sur la transition écologique qui cohabite avec des formes d’inertie et donc d’inaction, importantes. Il nous semble ainsi qu’il y a aujourd’hui une réelle attente du monde professionnel d’un moment réflexif sur le rôle des consultants dans la transition écologique. Nous sommes par exemple beaucoup focalisés sur les bonnes pratiques à coups de benchmarks, mais peu sur les mauvaises pratiques alors que nous pourrions aussi avoir une réflexion sur les renoncements. Il y a une vraie difficulté à discuter de ce qu’il faudrait arrêter ou réduire. Nous sommes dans une volonté permanente de construire une vision partagée, de produire des récits désirables sur la décarbonation. Cette obsession pour le récit désirable révèle aussi une incapacité à parler de nos divergences. Or, la transition écologique n’est pas un sujet convergent. Il y aura des perdants et des gagnants. La question du modèle économique et redistributif de la décarbonation doit par exemple être abordée. Combien ça coûte ? Qui doit payer ? Qui doit être accompagné pour ne pas subir ? Quelles formes de redistribution proposer ? Ne produire que des récits désirables revient ainsi à masquer les divergences et donc à ne pas faire d’arbitrages. Il est nécessaire de repolitiser les questions de décarbonation en travaillant les questions de redistribution et de justice. C’est alors moins un récit désirable qui est à construire qu’un récit lucide.
Vous parlez de repolitiser les questions de transition écologique et de décarbonation. Comment faire ?
Le niveau d’ambition en matière de décarbonation a été fixé par l’Europe, c’est un élément acté. Dire « décarboner », c’est aujourd’hui consensuel. En France, l’exercice de déclinaison de cette ambition à moyen et long terme a été réalisé par le secrétariat général à la Planification écologique. C’est un objectif de politique publique partagé. Le problème, c’est qu’on discute peu des manières d’y arriver. C’est là que les choses deviennent conflictuelles. On voit bien par exemple que la mise en œuvre du ZAN ou des ZFE est loin d’être consensuelle. C’est qu’on a eu recours à un logiciel avant tout technique pour penser ces questions. Il faut avoir le réflexe d’envisager chaque levier potentiel de la décarbonation comme un choix politique : ZFE, leasing social des voitures électriques, travaux énergétiques pour transformer le bâti… Derrière chaque mesure il y a un arbitrage politique en faveur de tel ou tel besoin. Pour politiser la feuille de route de la décarbonation, cela nécessite de dire au nom de qui et de quoi on agit, d’identifier les populations qui ont le plus besoin d’être accompagnées pour supporter ces grandes mutations.
Dans plusieurs articles, vous expliquez qu’être à l’écoute des colères, des sentiments d’injustice, doit alimenter les politiques publiques. En quoi le travail sur ce type de posture peut-il alimenter l’action publique ?
L’action publique est obnubilée par l’objectivation des choix de politiques publiques à grands coups d’expertises chiffrées, de diagnostics… Mais il y a une incapacité des collectivités à écouter un certain nombre de colères qui s’expriment, en particulier en réaction à la mise en œuvre de règles contraignantes en matière de transition écologique. Dans une période où les réseaux sociaux agissent comme des caisses de résonance des colères, la tonalité choisie par les acteurs publics pour parler des enjeux de transition peut paraître dissonante. Plutôt que de vouloir désamorcer ces sentiments, on pourrait faire le choix de les écouter, de les analyser. La crainte de faire peur (ou la volonté de rassurer) que soulignent de nombreux acteurs publics participe peut-être d’une forme de déni climatique, au détriment d’une demande de lucidité exprimée par un nombre croissant de citoyens et de professionnels.
Entretien réalisé par Morgane Perset, Rédactrice en cheffe de BelvedeR et Frédéric Toupin, Directeur des études à l’AUAT.
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Contenu additionnel :
Pour aller plus loin :
• Manon Loisel et Nicolas Rio, Transition écologique : pourquoi on n’y arrive pas, billet du blog Partie Prenante du 9 novembre 2023
• Manon Loisel et Nicolas Rio, Contraintes écologiques et sentiments d’injustice : les collectivités locales en première ligne, Presses universitaires de Grenoble, 2023
• Manon Loisel, Nicolas Rio, Pour en finir avec la démocratie participative, éditions Textuel, 2024.